Texts

Sur la révolution (1850)

Une révolution détermine dans le corps social un tra­vail instantané de réorganisation semblable aux com­binaisons tumultueuses des éléments d’un corps dissous qui tendent à se recomposer en une forme nouvelle.1 Ce travail ne peut commencer tant qu’un souffle de vie anime encore la vieille agrégation. Ainsi, les idées reconstitutives de la société ne prendront jamais corps aussi longtemps qu’un cataclysme, frap­pant de mort la vieille société décrépite, n’aura pas mis en liberté les éléments captifs dont la fermentation spontanée et rapide doit organiser le monde nouveau.

Toutes les puissances de la pensée, toutes les tensions de l’intelligence ne sauraient anticiper ce phénomène créateur qui n’éclate qu’à un moment donné. On peut préparer le berceau, mais non mettre au jour l’être attendu.

Jusqu’à l’instant de la mort et de la renaissance, les doctrines, bases de la société future, restent à l’état de vagues aspirations, d’aperçus lointains et vaporeux. C’est comme une silhouette indécise et flot­tante à l’horizon dont les efforts de la vie humaine ne peuvent arrêter ni saisir le contour.

Il vient aussi une heure, dans les temps de la réno­vation, où la discussion épuisée ne saurait plus avan­cer d’un pas vers l’avenir. En vain elle se fatigue à lever une barrière infranchissable à la pensée, une barrière que la main seule de la révolution pourra briser. C’est le mystère de l’existence future dont le voile impénétrable aux survivants tombe de lui-même devant la mort.

Qu’on démolisse la vieille société : on trouvera la nouvelle sous les décombres ; le dernier coup de pioche l’amènera au jour triomphante.

  1. Source: MF, 163-164.