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Lettre de Maillard à Blanqui (Barcelone, 1 Avril 1852)

Permettez-moi d’abord de vous dire franchement ce que je pense sur ce qu’on appelle parti démocratique.1 Je ne suis ni Français, ni Espagnol, ni Allemand. Je suis cosmopolite. Je ne suis ni bourgeois ni prolétaire, je suis Républicain-démocrate-socialiste, quoique ce dernier mot ait beaucoup d’élasticité. Je crois donc pouvoir parler librement sans craindre d’être partial. Je commercerai d’abord mes appréciations comme homme politique, puis comme militaire, afin de traiter la dernière déroute d’après les renseignements qui m’ont été donnés.

En Février [1848], qui a perdu la République ? Les philosophes, les peureux, les chefs d’écoles ; ces hommes qui voulaient détruire les institutions corrompues et qui reculaient devant les moyens révolutionnaires ; les avocats qui croyaient qu’avec des paroles on changeait une monarchie en République ; puis, ce qu’il est malheureux pour un Républicain d’avouer, les divisions qui régnaient dans notre parti. Pendant trois ans, qu’ont fait ceux qui, en face du peuple, avaient juré de le défendre et de la rendre heureux ? Ils ont été les tranquilles spectateurs de la constitution déchirée à chaque instant en lambeaux. Au lieu de faire appel à la nation et de défendre la constitution les armes à la main, ils ont préféré le régime parlementaire. Ils ont fait de la conciliation là où il fallait des coups de fusil. Le 13 juin 1849, quelques-uns se sauvèrent sans savoir pourquoi. D’autres plus rusés restèrent à leur poste. Aucun ne donna le signal du combat. Enfin notre montagne a fini par accoucher, non d’une souris, mais d’un Napoléon.

Depuis trois ans le peuple souffert, et nos chers Montagnards touchaient 25 francs par jour. Peut-être avaient-ils le désir de résister le 2 Décembre [1851]. Mais il leur manquait du cœur, du talent et surtout de la foi. Ce qui est triste à dire, ils ont été plus lâches que certains réactionnaires. Vous voyez aujourd’hui tel ou tel montagnard vire tranquillement à Paris, et pendant que les soldats sont en prison ou exilés, certains chefs jouissent de la plus parfaite sécurité. Que voulez-vous répondre devant de pareilles énormités ? Enfin la dernière marée a jeté de nouvelles discords sur les plages étrangères. A Londres, désunion. En Belgique, désunion. En Suisse, en Espagne, désunion. C’est vraiment pitoyable à voir que cette retraite pêle-mêle. C’est à qui blâmera les autres. Ce ne sont que reproches et récriminations. Vous ne voyez que découragement. Parlez de reformer un corps sérieux. On vous regarde avec des yeux ébahis et on prend la fuite.

Enfin, cher citoyen, j’ai le cœur ravie en traçant ces lignes. Les chefs donnent l’exemple de la discorde, et sans l’union, pas de République, pas de victoire. Aujourd’hui, il est encore possible de vaincre. Mais pour cela il faut un corps militaire, des chefs et surtout de la discipline. Depuis trois ans, nous subissons le régime parlementaire. Il n’a produit que du dégout et du mépris. Le peuple a besoin d’un gouvernement Révolutionnaire ferme et énergique.

Quand à moi, je n’appartiens à aucune école, à aucun homme. Je suis Républicain-révolutionnaire. Vous pouvez à peu-près juger maintenant de mes opinions politiques. Pour l’appréciation militaire des derniers événements, deux mots suffisent. Il a manqué un homme de tête et de cœur dans le midi de la France. La victoire était certaine. Les soldats, comme en février 48, attendaient qu’on s’emparât de leurs armes.

Je comptais vous envoyer le manifeste de Mazzini qui, j’en suis certain, vous aurait plus, car il renferme vos idées révolutionnaires. Il n’est impossible de le retrouver. L. Blanc et Consorts ont déclaré que Mazzini était un traitre. J’ai donc, au nom de transportés de juin 48, approuvé son manifeste par ma signature. Si j’avais pu vous l’envoyer, je vous aurais prié de vouloir bien y donner votre adhésion et d’appuyer celui qui appelle aux moyens salutaires pour établir la République Sociale.

  1. Source: MSS 9590(2), f. 373, extract.