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Formulaire de réception à la Société des Saisons (1837)

Le récipiendaire est introduit les yeux bandés.1

Le président au présentateur : Quel est le nom du nouveau frère que tu nous amènes ?

Au récipiendaire: Citoyen [le nom], quel est ton âge ? ta profession ? le lieu de ta naissance ? ton domicile ? Quels sont tes moyens d’existence ?

As-tu réfléchi à la démarche que tu fais en ce moment, sur l’engagement que tu viens de contracter ? Sais-tu bien que les traîtres sont frappés de mort ?

Jure donc, citoyen, de ne révéler à personne rien de ce qui se passera dans ce lieu.

Le président fait [sic] les questions suivantes :

Le citoyen qui fait la réception vient à l’aide du récipiendaire toutes les fois qu’il est embarrassé pour répondre.

1. Que penses-tu de la royauté et des rois ?

Qu’elle est exécrable ; que les rois sont aussi dangereux pour l’espèce humain que le tigre pour les autres animaux.

2. Comment la royauté, que tu déclares si mauvaise, se maintient-elle ?

Parce qu’elle a associé quelques classes du peuple à l’exploitation qu’elle fait de toutes les autres ; elle a constitué une aristocratie.

3. Quels sont maintenant les aristocrates ?

L’aristocratie de naissance a été abolie en juillet 1830 ; maintenant les aristocrates sont les riches, qui constituent une aristocratie aussi vorace que la première.

4. Faut-il se contenter de renverser la royauté ?

Il faut détruire les aristocraties quelconques, les privilèges quelconques ; autrement, ce ne serait rien faire.

5. Que devons-nous mettre à sa place ?

Le gouvernement du peuple par lui-même, c’est-à-dire la république.

6. Pourquoi la République est-elle le seul gouvernement légitime ?

Parce que seule elle est fondée sur l’égalité, que seule elle impose à tous des devoirs égaux, et donne les mêmes droits.

7. Quels sont les devoirs de chaque citoyen ?

L’obéissance à la volonté générale, le dévouement à la patrie, et à la fraternité envers chaque membre de la nation.

8. Quels sont ses droits ?

Le droit à l’existence, à la condition du travail ; chaque homme droit avoir son existence assurée. Le droit à l’éducation. L’homme n’est point seulement composé de matière, il a une intelligence. Cette intelligence a le droit de vie comme le corps ; ainsi le droit à l’éducation n’est que le droit à l’existence spirituelle. – Le droit électoral.

9. Celui qui ne remplit point ses devoirs doit-il avoir des droits?

Par cela seul qu’il ne remplit point ses devoirs, il abdique son droit de citoyen.

10. Ceux qui ont des droits sans remplir des devoirs, comme maintenant les aristocrates, font-ils partie du peuple ?

Ils ne devraient point en faire partie ; ils sont pour le corps social ce qu’est un cancer pour le corps humain ; la première condition du retour du corps à la santé, c’est l’extirpation du cancer : la première condition du retour du corps social à l’état juste, est l’anéantissement de l’aristocratie.

11. Comment le peuple manifeste-t-il sa volonté ?

Par la loi, qui n’est autre chose que l’expression de la volonté générale.

  1. Une chambre des députés peut-elle faire la loi ?

Non, elle ne peut que la préparer pour la soumettre au peuple qui l’approuve ou la rejette.

13. Immédiatement après la révolution, le peuple pourrait-il se gouverner lui-même ?L’état social étant gangrené, pour passer à un État sain, il faut des remèdes héroïques ; le peuple aura besoin pendant quelque temps d’un pouvoir révolutionnaire.

14. En résumé, quels sont donc tes principes ?

Qu’il faut exterminer la royauté et toutes les aristocraties, substituer à leur place la République, c’est-à-dire le gouvernement de l’égalité ; mais, pour passer à ce gouvernement, employer un pouvoir révolutionnaire, qui mette le peuple à même d’exercer ses droits.

Citoyen, les principes que tu viens d’énoncer sont les seuls justes, les seuls qui puissent faire marcher l’humanité vers le but qui lui est fixé ; mais leur réalisation n’est pas facile ; nos ennemis sont nombreux et puissants ; ils ont à leur disposition toutes les forces sociales ; nous, républicains, notre nom même est proscrit ; nous n’avons que notre courage et notre bon droit ; réfléchis, il est temps encore, sur tous les dangers auxquels tu te voues en entrant dans nos rangs. Le sacrifice de la fortune, la perte de la liberté, la mort peut-être, es-tu décidé à les braver ?

Ta réponse nous est la preuve de ton énergie. Lève-toi, citoyen, et prête le serment suivant :

« Au nom de la république, je jure haine éternelle à tous les rois, à tous les aristocrates, à tous les oppresseurs de l’humanité. Je jure dévouement absolu au peuple, fraternité à tous les hommes, hors les aristocrates, je jure de punir les traîtres. Je promets de donner ma vie, de monter même sur l’échafaud, si ce sacrifice est nécessaire pour amener le règne de la souveraineté du peuple et de l’égalité. »

Le président lui met un poignard à la main.

« Que je sois puni de la mort des traîtres, que je sois percé de ce poignard si je viole mon serment ! Je consens à être traité comme un traître, si je révèle la moindre chose à quelque individu que ce soit, même à mon plus proche parent, s’il n’est point membre de l’association. »

Le président : Citoyen, assieds-toi ; la Société reçoit ton serment, maintenant tu fais partie de l’association, travaille avec nous à l’affranchissement du peuple. Citoyen, ton nom ne sera point prononcé parmi nous, voici ton numéro d’inscription dans l’atelier. – Tu dois te pourvoir d’armes, de munitions. – Le Comité qui dirige la société restera inconnu jusqu’au moment où nous prendrons les armes. – Citoyen, un de tes devoirs est de répandre les principes de l’association. – Si tu connais des citoyens dévoués et discrets, tu dois nous les présenter.

Le récipiendaire est rendu à la lumière.

  1. Source: OI, 381-384.