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Déclaration du Comité provisoire des Écoles (Le Globe, 22 Janvier 1831)

Quand nous sommes sortis des barricades de Juillet, tout sanglants, avec la liberté, nous avons dit aux hommes qui se présentaient comme les amis et les tuteurs de la France : « Nous confions à votre patrio­tisme cette liberté qui nous a coûté si cher ; elle est maintenant un bien commun à tous les Français ; nous vous remettons le soin de la répartir ; n’en soyez point avares. »1

Les étudiants attendaient leur part, et elle eût été large si on l’avait mesurée sur la part qui leur était échue dans le combat et dans les funérailles. Par­qués, sous le règne de la Restauration, dans une étroite enceinte de décrets et d’ordonnances arbi­traires, ils pensaient avoir brisé à jamais, dans la grande bataille du peuple, les barrières élevées par la prévoyance du despotisme. Mais voici que les hommes qui devaient nous payer le prix du sang se retran­chent contre nous dans cet arsenal de tyrannie ; voici qu’un ministre, que plusieurs parmi nous se souvien­nent d’avoir rencontré dans toutes les conspirations, ne trouve rien de mieux que de se jeter dans les bras de nos plus implacables ennemis, des séides des Bour­bons, placés par les commis de la Sainte-Alliance à la tête de l’enseignement pour étouffer l’enseignement; voici qu’un ministre, ancien carbonaro, exhumant la sanglante ordonnance du 5 juillet 1820, la suspend de nouveau sur nos têtes, toute menaçante du nom de Lallemand.

Nous l’avouons, en voyant tant de promesses vio­lées, en voyant notre bonne foi, à nous jeunes gens simples et confiants, si outrageusement trompée, notre avenir sacrifié, le sang de nos frères compté pour rien, nos cœurs ont été flétris. Mais il est plus facile de nous tromper que de nous abattre, et puisque les hommes du pouvoir n’entendent que lorsqu’on parle haut, nous nous mettrons en demeure d’être écoutés. Aussi bien, la leçon est excellente pour nous enseigner qu’en fait de liberté, il ne faut pas attendre, mais qu’il faut prendre. Les vieillards l’ont dit, l’ex­périence est bonne aux jeunes gens.

Les étudiants, les jeunes gens ont le droit de s’as­socier pour diriger leurs efforts vers un but commun, et ils useront de ce droit. Quant à leur but, il est simple : il s’agit pour eux de faire que la révolution de Juillet ne soit pas un mensonge ; il faut que tout l’édifice construit par l’Empire et par la Restauration soit renversé, et comme il n’est pas tombé encore une seule pierre de cet édifice, ils travailleront infatiga­blement à le battre en brèche et à le démolir.

Nous demandons la destruction de l’Université. Nous demandons la destruction du monopole le plus odieux et le plus funeste au pays, de celui qui tarit la civilisation dans sa source et qui est l’outrage le plus cruel infligé à l’intelligence humaine. Certes, l’Université du Moyen Âge était une admirable insti­tution et l’œuvre d’un puissant génie. Fondée dans les temps d’oppression et de l’anarchie féodale, dans le but de soustraire la science à la domination du glaive, seule puissance reconnue alors, l’Université était comme une oasis de liberté, réservée à la civi­lisation, au milieu de ces déserts de barbarie et d’es­clavage. Les privilèges presque monstrueux dont les rois de France l’avaient entourée à l’envi en faisaient un sanctuaire impénétrable aux violences féodales, et toujours respecté dans les discordes les plus désas­treuses. Un étudiant, eût-il commis le plus grand crime, par cela seul qu’il était étudiant, et qu’il recélait une faible partie de ce feu sacré de la science dont les rois protégeaient le foyer, échappait à la juridiction commune, et n’était justiciable que d’un tribunal pris dans le corps de l’Université.

Mais depuis que la liberté est devenue le droit com­mun, depuis que, grâce à Dieu, les lumières et la civi­lisation n’ont plus besoin de tuteurs ni de privilèges, ce qui, autrefois, était destiné à propager l’instruction bien au-delà des besoins des temps, ne sert plus aujour­d’hui, par une métamorphose incroyable, qu’à l’étouf­fer dans une gothique enceinte. L’Université, façonnée par Napoléon en instrument de despotisme, si bien exploitée par la Restauration, ne doit pas survivre à ces deux tyrannies. Nous sommes las de cet exécrable impôt qui frappe ce qu’il y a de plus saint et de plus sacré, ce qui fait l’homme et le citoyen: l’instruction.

Et encore cette instruction, quand nous l’avons ache­tée de nos plus belles années d’études, prolongées à dessein par la cupidité et par la haine des Lumières, ces mêmes hommes qui nous l’ont si chèrement ven­due comme monopoleurs viendront, sous la forme de tribunal sans garantie et sans publicité, instruments aveugles et pusillanimes, nous reprendre, sur un geste du pouvoir, ce que nous avions arraché à si grande peine, nous ravissant le fruit de nos travaux et frap­pant de mort notre avenir.

C’est ce joug odieux que nous rejetons de toutes nos forces.

Que le pouvoir, dans sa superbe, nous traite d’enfants rebelles, oubliant qu’il est trop heureux de s’adresser à nous comme à des hommes le 22 décembre, et que, prenant le langage de la dynastie abhorrée, il parle de ses réprimandes paternelles en nous écrasant de ses sévices ; qu’il nous chasse de toutes les écoles de France, qu’il nous traîne de tribunaux en tribu­naux, qu’il abreuve de chagrins et d’amertume nos vieux pères frappés dans leurs enfants ! Ce sera un beau et honorable spectacle que celui de jeunes gens couverts des cicatrices de Juillet traités en parias sur le sol qu’ils ont racheté de leur sang. Mais qu’im­porte ! À travers les persécutions, les violences, nous marcherons fermes, inébranlables, à notre but: nous sommes jeunes, nous sommes patients ; nous ne désespérons pas aisément de la liberté. Nous l’avons conquise en juillet, elle est déjà perdue en janvier, eh bien ! elle vaut la peine d’être conquise deux fois. Le bon droit et l’avenir sont à nous ; le jour de la jus­tice arrivera.

Et vous tous, nos amis et nos frères, étudiants des écoles de Paris et de la France entière, joignez vos efforts aux nôtres. Nos cris isolés se perdraient dans le tumulte immense de la société ; mais unis en fais­ceaux d’acclamations, ils formeront une grande voix qui fera taire ces charmeurs de la tyrannie. Rallions-nous à la devise immortelle : liberté ! Dans la confu­sion de tous les cris que les passions et les vils intérêts ont cherchés et cherchent encore à mêler à ce cri sacré : liberté ! C’est son retentissement seul qui a fait vibrer nos cœurs ; c’est elle seule qui a droit à notre amour, à notre culte : nous la voulons et nous l’aurons.

  1.  Source: MF, 57-60.