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Contre le positivisme (1869)

8 avril 18691

La source du progrès est dans la communication de la pensée. Donc le mal est tout ce qui s’oppose à cette communication, le bien tout ce qui la favorise et la multiplie. À ce titre, la découverte de l’imprimerie a été le plus grand bienfait et le christianisme le plus cruel (le pire) fléau de l’humanité. Enchaîner l’esprit humain à un dogme immuable, exiger en principe et pratiquer en fait l’extermination systématique, pour le maintien de cette vérité soi-disant absolue et l’immobilisation éternelle de la pensée, n’est-ce point attenter à l’humanité tout entière ? Donc le crime par excellence est tout ce qui a pour but de prolonger l’existence de cette religion de mort et le premier devoir, l’anéantissement à tout prix d’une si horrible peste.

15 mars 1869

Pompery (Revendication du Prolétariat, page 2, imprimé Feuille volante).

Le communisme n’est point, comme le dit Pompery, un chaos informe, le syncrétisme confus des premiers âges de l’Humanité ; il est le dernier mot de la science sociale, l’idéal de l’avenir.

Il est faux que le communisme ait jamais été l’enfance d’une société quelconque, et qu’il marque (renvoie) le (dernier) degré le plus bas dans l’échelle de la sociabilité. Ces assertions reçoivent de l’histoire un démenti permanent.

Ni les Esséniens, ni les frères Moraves ne formaient une nation, pas plus que les couvents grecs et latins. C’étaient des réunions d’individus vivant en dehors du monde réel, sous la domination d’une croyance religieuse — c’est-à-dire infectés de la pire des pestes.

En tout temps et en tout pays, l’individualisme est la première forme de la société. Son règne est celui de l’ignorance, de la sauvagerie et de la bestialité. Il s’amende par la marche des âges et cet amendement n’est jamais qu’une atteinte de son principe. Tout progrès social, toute amélioration est une innovation communiste.

Le communisme n’est que le terme (final) dernier de l’association et personne ne conteste aujourd’hui que l’association ne soit le véritable instrument et thermomètre du progrès. Comment l’association serait-elle excellente tant qu’elle demeure incomplète, et détestable lorsqu’elle est arrivée à sa perfection.

Elle gagne, s’étend uniquement par les lumières. Chaque pas dans cette voie est la conséquence d’un progrès dans l’instruction. Toute victoire de l’ignorance, au contraire, est une atteinte à l’association, il y a connexion intime entre ces deux ordres d’idées, (tous) les faits l’attestent jusqu’à l’évidence. Le communisme ne pourra se réaliser que par le triomphe absolu des lumières, il en sera la suite inéluctable, l’expression sociale et politique.

L’individualisme est l’enfer des individus, il n’en tient nul compte et se fonde sur leur destruction systématique. Il suffit de jeter un regard sur l’époque actuelle et sur les siècles précédents. L’immolation des individus est toujours en raison directe de la prépondérance de l’individualisme. Il signifie pour eux (à leur égard) extermination et communisme veut dire (implique) respect, garantie, sécurité des personnes.

Il y a eu à toute époque des théories communistes. Cela se conçoit. De grandes intelligences peuvent y discerner l’idéal de l’organisation sociale. L’application a toujours échoué contre l’ignorance (des temps). Les lumières en sont la condition sine qua non (du communisme). Il ne devient possible que par elle, et il en est la conclusion obligée.

Les premiers chrétiens l’ont essayé. L’échec a été complet. Cette tentative prématurée de perfection a tourné au désastre. Elle a enfanté les couvents, l’une des plus pernicieuses aberrations de l’esprit humain. Le remède intempestif s’est tourné en poison.

…Dans le procès du passé devant l’avenir, les mémoires contemporains sont les témoins, l’histoire est le juge, et l’arrêt est presque toujours une iniquité, soit par la fausseté des dépositions, soit par leur absence ou par l’ignorance du tribunal. Heureusement l’appel reste à jamais ouvert, et la lumière des siècles nouveaux, projetée au loin sur les siècles écoulés, y dénonce les jugements des ténèbres…

1 avril 1869

(Revue Positive, mars-avril 1869) article Stupuy, Une remarque sur Condorcet, pages 201 et suivantes.

Monceau d’absurdités et niaiseries touchant le Christianisme et le Moyen Age attaqués à tort par les Révolutionnaires, suivant l’auteur. Prétendus bienfaits du catholicisme et de la féodalité. Doctrine exécrable du fatalisme historique, du fatalisme dans l’humanité. Tout ce qui arrive est bien, par cela seul que cela arrive.

Le Catholicisme est irréprochable tant qu’il est le plus fort. Ses torts ne commencent qu’avec sa faiblesse. La féodalité également est un bienfait tant qu’elle écrase. Elle ne devient fléau que par la grâce de son déclin.

Travestissement des faits audacieux autant qu’inepte pour la justification de cette théorie sinistre du progrès quand même, de la santé continue. Aplomb grotesque de ces systématiseurs (dans leur pédantisme). Leur prétendue Sociologie érigée en science presque mathématique. Les appréciations les plus sottes, les plus (manifestement) ridicules, données (imperturbablement) pour des vérités scientifiquement démontrées.

Auguste Comte n’a rien découvert en quoi que ce soit. Il a classifié, monenclaturé, pédantisé. Ses systèmes ont varié au gré des (événements et des) circonstances. Ce prétendu fondateur de la science positive s’est jeté brusquement dans les extravagances du mysticisme. Ce destructeur de dogmes a improvisé la religion de l’humanité avec sacrements et sacerdoce. Pourquoi? Le coup d’Etat l’a terrifié. Il y a vu le triomphe soudain et inattendu du passé. Pour le fléchir et le séduire, il lui a offert une religion ultra-aristocratique, le système des castes, l’asservissement des masses, la domination absolue des riches, toutes les folies accumulées du Brahmanisme et du Christianisme.

Pourquoi des disciples orthodoxes refusent-ils de le suivre dans cette voie? De quel droit récuser sur ce point la compétence du révélateur, tout en le proclamant le suprême prophète qui a dit le dernier mot de l’humanité?

On parle en son nom et le renie ! S’il a extravagué dans ses derniers oracles, il n’est pas infaillible dans les premiers.

Le Positivisme, qui accuse à tort et à travers, qui traite de négation tout ce qui est en dehors de lui, le Protestantisme, le Déisme, l’Athéisme, est précisément lui-même la négation type, le doute systématiquement poussé jusqu’à l’absurde, érigé en religion. H n’est pas le Positivisme, mais le Négativisme ou plutôt le Nihilisme. C’est un expédient, une ficelle, un truc.

Pour démontrer sa science sociologique, il torture et travestit l’histoire avec une audace à rendre jaloux le père Loriquet. Et cette audace impose. Il lui suffit de s’intituler science, de s’affubler du nom universellement respecté pour devenir aussitôt sacro-saint. Personne n’ose le regarder en face. On s’incline avec humilité et on lui tire bien bas son chapeau.

Il faut dire aussi qu’il a la protection des couards, protection toute puissante. Il sert d’abri aux athées et aux matérialistes honteux qui tiennent à vivre en paix avec la force régnante et ne se brouillent jamais avec le bras séculier. N’était donc cet appui, la louche doctrine du biaisement et de l’équivoque aurait bientôt sombré. Mais, quoi qu’on dise, les poltrons sont un fameux rempart.

« L’autorité spirituelle, si respectable et si respectée au Moyen Âge», dit Stupuy page 203, « se déconsidère de plus en plus au XVIe siècle par le spectacle public de son inconduite et par les conflits sans fin qui président à son élection (aux élections papales) … ».

Comme si l’inconduite des papes et les scandales du conclave au XVIe siècle pouvaient se comparer, même de loin, aux infamies (turpitudes) et aux atrocités des compétitions papales des VIIIe ,IXe, Xe siècles, époque où l’on dépeint l’autorité spirituelle comme si respectable !

Respectable, parce qu’elle est incontestée et omnipotente (par) grâce à l’extermination (sa férocité). Le Christianisme n’aurait pas été loin certes, sans la violence (n’a vécu que par). Dès l’origine elle a été sa méthode unique (l’emploi de la compression qui est son…). Déjà au Ie siècle, dans l’ombre, il procède par la contrainte (l’oppression), l’espionnage, la calomnie. Il a pour citadelle son organisation, pour arme toutes’ les formes de violence. Cette organisation formidable résiste à tout, triomphe de tout. La première victime est l’Empire romain. Victorieux, le Christianisme se maintient, comme il a conquis, par l’écrasement.

Sans ce système, il aurait avorté à son berceau, et une fois maître, s’il se fut relâché, n’aurait pas subsisté deux cents ans. Ses milices, ses guerres sans quartier, le fer, la flamme, la torture, les captations, l’astuce, l’enchaînement de la pensée, le siège mis devant chaque individu, l’anéantissement immédiat de toute contradiction l’ont consolidé à travers les siècles et les obstacles. L’incendie, le carnage, la destruction marquent sa route.

Que serait-il advenu, s’il eût succombé dans l’une quelconque des luttes terminées par son triomphe? Nul ne peut le dire, même l’entrevoir. La moindre conjoncture à ce sujet serait même une niaiserie. Parce que les choses ont suivi ce cours, il semble qu’elles n’auraient pu en suivre d’autre. Le fait accompli a une puissance irrésistible. Il est le destin même. L’esprit (s’en trouve) en est accablé et n’ose se révolter (raidir). Le sol lui manque. Il ne pourrait s’appuyer que sur le vide (sur le néant).

Terrible force pour les fatalistes de l’histoire, adorateurs de ce fait accompli! Toutes les atrocités du vainqueur, la longue série de ses attentats sont froidement transformés en évolution régulière, inéluctable, comme celle de la nature. Rien n’arrête ces imperturbables Systématiseur. Jean XII, Marozie, Théodora, Mathilde, etc., constituent une « autorité spirituelle » respectable et respectée ! Tout cela est légitime, indispensable. On doit y voir la marche naturelle, obligée du genre humain. La raison sans réplique, c’est que tout cela se suit et qu’il y a filiation constante dans les événements, que chaque époque est le produit de l’époque précédente.

Belle découverte et bel argument ! Et sans doute, tout se tient et s’engrène. La seconde d’après suit la seconde d’avant. Mais l’engrenage des choses humaines n’est point fatal comme celui de l’univers. H est modifiable à toute minute. Un couple va se marier. Je tue l’homme et je prends la femme. Les enfants de cette femme seront les miens. N’auraient-ils pu être ceux du tué ? Le meurtre est intervenu et a changé le père. Il y a toujours filiation, mais la descendance ? (est tout autre).

C’est une immoralité, c’est un crime de glorifier le passé quand même, de le justifier par de prétendues lois immuables, d’invoquer la dignité de l’histoire qui commande le respect ou même l’indulgence pour les horreurs des temps évanouis. Parler des services du catholicisme a pu être à certains moments, une duperie, une illusion de circonstance. Aujourd’hui après l’enseignement des récentes années, il n’est plus permis de plaider, au nom du fatalisme, la cause de cette religion néfaste. De la première heure à la dernière heure, elle n’a fait et ne fera que le mal. Elle n’était pas plus utile à l’humanité que la petite vérole, la peste ou le choléra ne sont nécessaires à la santé d’un homme.

La doctrine du progrès continu est une fantaisie des temps de transition. Elle a donné quelques années de vogue au catholicisme sous le règne de Louis-Philippe. C’était une des formes de la réaction contre le mercantilisme, réaction provoquée dans la démocratie par le débordement et l’outrecuidance cynique des intérêts matériels. Les classes moyennes intronisaient sans vergogne le culte du veau d’or et semblaient l’ériger en religion universelle. La pensée était honnie, l’idée de justice sociale mise au ban, l’enrichissement à tout prix proclamé la seule vertu.

Un moment, dans le premier dégoût de cette puanteur, la Révolution oublia les crimes du catholicisme pour se rappeler seulement sa spiritualité, et eut presque l’illusion de voir dans cet adversaire déchu un auxiliaire contre le sale ennemi surgi tout à coup devant elle. Le Moyen Âge fut tout à coup de mode universelle, par méprise et naïveté dans le camp populaire, par instinct et par calcul chez les conservateurs. Courte unanimité! La méprise s’est évanouie (dissipée, éclaircie), l’instinct s’est fait doctrine. Chaque chose a repris sa couleur propre. L’avenir a reconnu dans le christianisme son mortel ennemi, le passé sa dernière planche de salut.

Le Positivisme, cousu (attaché) à la traîne d’un Révélateur, reste figé dans l’admiration du Moyen Âge. Auguste Comte, contemporain de cet engouement éphémère, en a fait une des assises de sa lourde construction sociologique. Il faut bien que les disciples se logent de leur mieux dans la bâtisse du maître. On fausse, on estropie l’histoire pour l’ajuster aux divagations des nouveaux livres saints. La Bible était une inspiration divine. Les tomes d’Auguste Comte sont la science démontrée. Où est la pire outrecuidance ?

Dans sa systématisation du Moyen Âge, le Positivisme lui sacrifie sans pitié ni scrupule tous les martyrs de la pensée et de la justice, Abélard, Arnaud de Breseia, Rienzi, etc. Il n’ose point sans doute les condamner, i l se borne à taire leurs noms ou leurs rôles, et à rayer simplement de l’histoire les grandes figures qui contrarient sa thèse de la Papauté légitime… légitime, comme de raison, tant que ses forfaits l’ont conservée toute puissante, coupable, aussitôt qu’ils n’ont plus réussi à la préserver de la décadence.

Ce Positivisme est d’un aplomb vraiment rare. C’est lui qui a découvert le soleil, la lune et les étoiles. E invente à chaque instant une foule de choses aussi merveilleuses qu’ignorées, telles que le pain, le vin, la chandelle, etc. Rien n’existait avant lui. Il a tout créé, tout rangé (tout numéroté). Son procédé de fabrique est curieux. H consiste à embourber dans un vaste marais de phrases ce que chacun savait en deux mots de l’eau la plus limpide. Ainsi cette vérité si simple : « On est toujours un peu de son siècle », le Positivisme la remet au monde entortillée dans cinquante pages illisibles.

Autre découverte par là même méthode : « Toutes les époques (produisent) possèdent des rétrogrades et des avancés. » Qui eut découvert (trouvé) cela et bien d’autres choses avant Auguste Comte? C’est lui vraiment qui nous a plantés à tous un nez positif au milieu du visage. Jusqu’à la venue de ce Messie, on n’avait que de faux nez (des nez de carton).

… Le Christianisme est mort de la main de Voltaire. Tout est bien fini dès 1789. La postérité n’aura pas un coup d’œil pour ces prétendus grands travaux d’exégèse du XIXe siècle, qui s’amusent à compter les cheveux, les poils ou les verrues du cadavre, afin de constater son identité. A peine si elle s’occupera une minute du malaise que sa putréfaction répand sur notre époque. Affaire de narration (sujet de récit), non de controverse. Le XIXe siècle ne vaudra que par la Science, son fatras littéraire et religieux aura pour tombeau la poudre des bibliothèques ou les cornets des épiciers…

Revue Positive (mars-avril 1869)

Article de Wirouboff sur l’ivrognerie Russe — chef-d’œuvre de niaiserie pédantesque et de crétinisme positiviste. Le fond de ce beau travail est l’impuissance des gouvernements à rien faire, à rien changer, à rien modifier dans les peuples qu’ils dominent. À preuve l’histoire tout entière, n’est-ce pas? Ô triomphe de la sociologie !

29 mars 1869

…Pour les situations violentes qui placent la vie en péril permanent il faut des esclaves écrasés par la terreur ou des âmes exaltées par l’enthousiasme. Le métier de soldat, et plus encore celui de marin n’est possible que pour les deux extrêmes opposés, l’abruti ou le héros…

Morale indépendante du 26 mars 1869

La morale définie respect de sa propre personne et de sa propre dignité, respect de la personne et de la dignité d’autrui. Morale toute passive. « Ne pas te laisser entamer, ne pas entamer les autres. » C’est l’individualisme étroit, rogue, hérissé, barricadé, égoïste : c’est l’isolement.

La vraie morale est active. C’est l’idée mutuelle, la solidarité, l’association, l’action en commun…

8 avril 1869

Revue Positive (janvier-février 1869). Article Boberty sur l’ouvrage de Marx, Le Capital. Il dit:

« La question sociale nous paraît singulièrement déplacée quand au lieu d’étudier les conditions nécessaires à une production saine et à une distribution juste de la richesse, on se borne à en analyser les éléments constitutifs, et à nous venir dire, par exemple, qu’en remontant à la source de toute rente produite par le capital, on trouve une appropriation globale du travail humain. Or, le profit du capital peut être ce qu’il voudra, il n’en est pas moins un rouage nécessaire de l’industrie moderne. »

Ces messieurs font bon marché de la justice et de la morale. Dialogue : « Je te tue. On en dira ce qu’on voudra, ta mort ne m’en est pas moins nécessaire.» — « À la bonne heure ! Mais alors la tienne m’est plus indispensable encore, et je te tue. On en dira aussi ce qu’on voudra. » Posée dans ces termes, la question est des plus simples, Il s’agit uniquement d’être le plus fort …

… Quoi qu’en disent les hétérodoxes du positivisme, la seconde manière de Comte existait en germe dans la première.

Il a toujours professé une grande admiration pour le catholicisme, se bornant à lui dire : «Vous avez été sublime à votre heure, mais cette heure est passée. Vous êtes maintenant ranci et rococo. Couchez-vous dignement dans le cercueil comme ces vieux sauvages qui ne peuvent plus scalper de chevelures et partent volontairement pour les terres du grand esprit. Allons! bonhomme, en route pour l’autre monde et place à votre héritier naturel, le sacro-saint Positivisme. »

De sa prétendue science de la sociologie, aussi bien que de la philosophie de l’histoire, le positivisme exclut l’idée de justice. H n’admet que la loi du progrès (quand même et) continu, la fatalité. Chaque chose est excellente à son heure puisqu’elle prend place (marque un échelon) dans la série des perfectionnements (la filiation du progrès). Tout est au mieux toujours. Nul critérium pour apprécier le bon ou le mauvais. Ce serait du préconçu, de l’a priori, de la métaphysique.

L’expérience des siècles démontre que le seul agent du progrès est l’instruction, que la lumière jaillit (presque) uniquement de l’échange (et du choc) des pensées humaines, que par conséquent tout ce qui favorise et multiplie cet échange est le bien, que tout ce qui le supprime ou l’entrave est le mal. Or, le christianisme a pour principe fondamental l’anéantissement de la liberté de pensée et de communiquer sa pensée. De par l’observation, i l est donc la nuit et le mal.

Foin! métaphysique et sornette que tout cela! répond le positiviste. La vérité c’est que, n’importe par quel moyen, le christianisme ayant combattu et régné 1500 ans, a été nécessairement le progrès durant cette période de lutte et de puissance. I l ne commence à devenir le mal et l’obstacle qu’à dater de son déclin, et seulement parce qu’il décline. – Cependant au début, à l’apogée, dans la décadence, sa méthode a toujours été la même : « extermination de la pensée. » – Qu’importe ! Hosannah ! Gloire à son triomphe ! Hourra ! (Hou ! Hou !) sus ! sus ! à sa défaite !

Telle est la philosophie positive, aussi généreuse que juste, aussi noble que consolante.

La manie du progrès quand même, chez ces aveugles systématiseurs, va jusqu’à l’accusation de mouvement rétrograde et d’impulsion négative, portée contre la renaissance des lettres gréco-latines, et suivant eux cette victoire sur les infâmes productions du Moyen Âge est un recul. Elle a brisé l’évolution régulière qui était chrétienne ! Elle a introduit en fraude la vieillerie païenne dans le monde nouveau (moderne). L’Antiquité est une intruse qui nous a dévoyés ; (en faisant refluer le fleuve des âges) car elle a fait remonter le cours des âges.

Il est vrai en reparaissant au jour, comme le Rhône après sa perte, l’antiquité s’est permis de donner un rude démenti (soufflet) à la tocade du développement continu. Arrêtant court, puis refoulant dans la nuit le Moyen Âge, elle est venue réinstaller sur les ruines de la tradition christiano-absolutiste, l’idée de liberté et de République conservée (restée) en dépôt dans les entrailles des idiomes grecs et latins.

Elle est donc fausse cette théorie du progrès ininterrompu et fatal. Car la civilisation gréco-romaine a bondi par dessus le christianisme pour refaire malgré lui, contre lui, la civilisation moderne. Pas de preuve plus éclatante que cette religion, maladie terrible, a cloué près de deux mille ans l’humanité sur un lit de douleurs.

Si la science a pu naître, c’est que l’imprimerie, appuyée sur le monde ancien (l’Antiquité), l’a délivrée (sauvée) du tigre qui la guettait au berceau. Les Positivistes aiment et chantent la Science. Eh ! bien, elle est fille de l’Antiquité. Le christianisme a failli la tuer. Sorcière! au feu! criait cet infâme. Elle n’a échappé qu’avec peine, témoins Roger Bacon, Raymond Lulle et tant d’autres. Elle revit aujourd’hui pour châtier le monstre. De quel droit les panégyristes de l’assassin se font-ils les chantres de la victime ? Le Positivisme n’est qu’une série de trucs. Le premier et le meilleur est son nom même qui s’empare de droit de tout ce qui est vérité et réalité ! H s’accole d’abord à la science et la fait sienne par ce mariage. « Science positive », se dit le vulgaire. « Avant Comte il n’existait donc qu’une science négative. »

Or, cet accouplement n’est qu’un pléonasme : « Lumière éclatante » ne serait pas plus ridicule, mais qu’est-ce que le péché de pléonasme pour le charabia positiviste, cette dartre rongeante de notre langue?

Le Positivisme dénomme science particulière chacune des diverses sciences connues, et science générale la Philosophie positive, c’est-à-dire la classification comtiste. Il installe (introduit) ainsi modestement dans l’humanité comme Science des Sciences, quoi ? la fantaisie d’un pédant ! Une nomenclature sans valeur pratique, sans application courante, brimborion (joujou) inutile à reléguer (bon à figurer) sous un globe (verre) de pendule.

Le publie se laisse faire et suit, les yeux fermés, tout étourdi d’un effroyable baragouin qui lui semble sortir au moins de l’antre de Trophonius …

Toute la valeur du Positivisme est matérialiste. Otez-lui cette qualité, il ne reste plus qu’erreurs et outrecuidance. Personne ne montre mieux la vérité du matérialisme et, chose étrange ! il se refuse à conclure et traite le matérialisme de métaphysique. Plaisante accusation!

Eh! Messieurs,

Vous donnez lourdement vos qualités aux autres,

et nous n’acceptons pas si lentement les vôtres.

Affirmer, au nom de l’expérience, la non-immortalité de l’âme, l’éternité de la matière, et repousser la qualification de matérialiste, c’est un raffinement de casuistique inaccessible à l’intelligence d’un simple mortel. Qu’est-ce que le matérialisme, sinon la doctrine qui déclare l’univers infini dans le temps et dans l’espace, et l’esprit une propriété inséparable de la substance nerveuse, dans la vie comme dans la mort ?

Avec plus ou moins de détours et de subtilités, le Positivisme dit la même chose, franchise à part, où est la différence entre les deux doctrines? — ah! voici : l’une n’est qu’un particularisme – style Allemand; l’autre est l’universalité des connaissances humaines. Avait-il donc inventé ces connaissances le Positivisme? non, il les a tout bonnement enfilées en chapelet et débite ce chapelet comme son ouvrage.

Le Positivisme est un demi-Dieu qui sait tout, qui embrasse tout, depuis les derniers conflits de la Mathématique transcendante jusqu’aux plus minces détails de la Sociologie, passée, présenté et future. Du haut de son trône omniscient, il laisse choir un regard de dédain sur le Myrmidon qui ose se prétendre son pareil et lui dit comme à un chétif insecte : «Qu’y-a-t-il entre nous?»

Nov. Dec. 1869

Revue Positive (p. 375) article de La Révolution par Littré.

Affreux pathos d’Aug. Comte sur les philosophies de Voltaire et de Rousseau. Mauvaise foi de ce soit-disant révélateur qui fait semblant de ne reconnaître au XVIIIe siècle que deux écoles, Déiste l’une et l’autre, et ne souffle mot de l’école matérialiste et athée représentée par la Pléiade Diderot, d’Holbach, d’Alembert, Lamétrie, etc. (Helvétius, etc.).

Le brave homme avait ses raisons pour escamoter cette pléiade. Il voulait simplement inventer l’athéisme sous le nom de Positivisme. À l’exemple du maître, les disciples feignant aussi de ne voir dans l’athéisme qu’une métaphysique. Mais ôtez de leur galimatias l’idée athée et matérialiste, que reste-t-il ? une classification fantaisiste (de rencontre). Avec ce mot : « Positivisme », ils ont presque réussi à se poser en créateurs de toutes les sciences humaines. Quel terrible baragouin que ce style d’Aug. Comte ! un pareil écrivain a-t-il pu jamais tirer de son cerveau une chose sérieuse ? Littré trouve dans ce patois une explication des conséquences réactionnaires de Thermidor.

« C’est », dit-il, « l’immixtion [sic] dé la Réaction dans le mouvement Thermidorien. Les violences de Robespierre avaient rendu la réaction imminente. »

Cette raison c’est celle de Diaforius : « Pourquoi l’opium fait-il dormir ? – Parce qu’il a une vertu dormitive. » D’où vient l’immixtion de la Réaction dans le mouvement Thermidorien» ? Qui l’a rendue possible ? Écrasée jusqu’alors, pourquoi a-t-elle pu relever la tête et prendre si soudainement le dessus ?

La faute en est à la composition des assemblées délibérantes, toutes mauvaises sans exception, depuis 1789. Constituante, Législative, Convention étaient des collectivités bourgeoises, égoïstes et poltronnes, des ramas de nullités ou de médiocrités où pointaient ça et là les talents en petit nombre et plus rares encore les caractères.

Comprimée au 31 mai par la minorité Révolutionnaire, puis appelée à la rescousse par les Montagnards contre la dictature Robespierriste, la majorité rétrograde de la Convention se retrouva libre le 9 Thermidor et maîtresse le lendemain.

  1. Source: ‘Contre le positivisme’, in Instructions pour une prise d’armes, L’Eternité par les astres et autres texts, eds. Miguel Abensour and Valentin Pelosse (Paris: Sens&Tonka, 2000), 195-225.