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Avis au peuple (25 Février 1851)

Quel écueil menace la révolution de demain ?1 L’écueil où s’est brisée celle d’hier, la déplorable popularité de bourgeois déguisés en tribuns.

Ledru-Rollin, Louis Blanc, Crémieux, Marie, Lamar­tine, Garnier-Pagès, Dupont (de l’Eure), Flocon, Albert, Arago, Marrast ! Liste funèbre ! noms sinistres écrits en caractères sanglants sur tous les pavés de l’Europe démocratique.

C’est le gouvernement provisoire qui a tué la révo­lution ! C’est sur sa tête que doit retomber la res­ponsabilité de tous les désastres, le sang de tant de milliers de victimes. La réaction n’a fait que son métier en égorgeant la démocratie. Le crime est aux traîtres que le peuple confiant avait acceptés pour guides et qui ont livré le peuple à la réaction.

Misérable gouvernement ! Malgré les cris, les prières, il lance l’impôt de quarante-cinq centimes qui soulève les campagnes désespérées. Il maintient les états-majors royalistes, la magistrature royaliste, les lois royalistes. Trahison ! Il court sus aux ouvriers de Paris le 16 avril, il emprisonne ceux de Limoges, il mitraille ceux de Rouen le 27; il déchaîne tous leurs bourreaux, il berne et traque tous les sincères républicains. Trahison! Tra­hison ! À lui, à lui seul le fardeau terrible de toutes les calamités qui ont presque anéanti la révolution !

Oh ! ce sont là de grands coupables, et entre tous, les plus coupables, ceux en qui le peuple, trompé par des phrases de tribun, voyait son épée et son bou­clier, ceux qu’il proclamait avec enthousiasme arbitres de son avenir. Malheur à nous si, au jour du prochain triomphe populaire, l’indulgence oublieuse des masses laissait remonter au pouvoir un de ces hommes qui ont forfait à leur mandat ! Une seconde fois c’en sera fait de la révolution ! Que les travailleurs aient sans cesse devant les yeux cette liste de noms mandats, et si un seul, oui, un seul apparaissait jamais dans un gouvernement sorti de l’insurrection, qu’ils crient tout d’une voix: Trahison! Discours, sermons, pro­grammes ne seraient encore que piperies et men­songes ; les mêmes jongleurs ne reviennent ici que pour exécuter le même tour avec la même gibecière ; ils formeraient le même anneau d’une nouvelle chaîne de réactions plus furieuses. Sur eux, anathème et vengeance, s’ils osaient apparaître ! Honte et pitié sur la foule imbécile qui retomberait dans leurs filets !

Ce n’est pas assez que les escamoteurs de Février soient à jamais repoussés de l’Hôtel de Ville, il faut se prémunir contre de nouveaux traîtres.

Traîtres seraient les gouvernants qui, élevés sur le pavois prolétaire, ne feraient pas opérer à l’instant même : 1) le désarmement général des gardes bour­geoises ; 2) l’armement et l’organisation en milice nationale de tous les ouvriers. Sans doute il est bien d’autres mesures indispensables; mais elles sortiront naturellement de ce premier acte, qui est la garantie préalable, l’unique gage de sécurité pour le peuple. Il ne doit pas rester un fusil aux mains de la bour­geoisie. Hors de là, point de salut !

Les doctrines diverses qui se disputent aujourd’hui les sympathies des masses pourront un jour réaliser leurs promesses d’amélioration et de bien-être, mais à la condition de ne pas abandonner la proie pour l’ombre. Elles n’aboutiraient qu’à un lamentable avortement si le peuple, dans un engouement exclusif pour les théo­ries, négligeait le seul élément pratique assuré, la force ! Les armes et l’organisation, voilà l’élément décisif du progrès, le moyen sérieux d’en finir avec la misère ! Qui a du fer, a du pain. On se prosterne devant les baïon­nettes, on balaie les cohues désarmées. La France héris­sée de travailleurs en armes, c’est l’avènement du socialisme. En présence des prolétaires armés, obs­tacles, résistances, impossibilités, tout disparaîtra.

Mais pour les prolétaires qui se laissent amuser par des promenades ridicules dans les rues, par des plan­tations d’arbres de liberté, par des phrases sonores d’avocats, il y aura de l’eau bénite d’abord, des injures ensuite, enfin de la mitraille, de la misère toujours !

Que le peuple choisisse.

Prison de Belle-Île-en-Mer, 10 février 1851.

  1. Source: MF, 165-167.