Auguste Blanqui à Belle-Ile. Paris: Editions de la Libraire du Travail, 1935, 5, 7, 10-12.
Auguste Blanqui mérite une place d’honneur dans la galerie des ancêtres du communisme révolutionnaire. Par sa vie qui est comme une légende. Par la tradition vivante qu’il représente à travers tout un siècle entre les diverses générations et les divers courants révolutionnaires. Par sa forte personnalité que n’ont pu entamer ni les haines bourgeoises tant monarchiques que républicaines, ni les calomnies de certains anciens compagnons, ni la misère, ni la persécution. Par son enseignement enfin, qui rejoint sur presque tous les points essentiels les déductions du marxisme révolutionnaire. […]
Quand on étudie la vie de Blanqui on est amené à fouiller tout le dix-neuvième siècle, avec le développement prodigieux de l’industrie, avec ses révolutions et ses émeutes, la marche en avent du prolétariat et la lente élaboration du socialisme de classe. Mais ce cadre même, Blanqui le déborde. Par son maitre Buonarroti, héritier des traditions de la conjuration des Egaux, il rejoint Gracchus Babeuf qui représente à la fois les meilleur du jacobinisme plébéien et le prolongement du communisme utopique du XVIIIe siècle. Par son disciple russe Pierre Tkatchev, Blanqui rejoint les générations révolutionnaires qui ont précédé la vielle garde bolchévique. Et si nous prenons en considération le traité extrêmement important signé après 1848 entre les amis de « l’Enfermé » Adam et Vidil et les communistes allemands Willich, Marx et Engels, la liaison entre le babouvisme et le bolchevisme par le marxisme révolutionnaire se trouve pour ainsi dire réalisée au moyen du blanquisme. […]
Sans doute, la volonté indomptable, l’ascétisme de la vie de Blanqui, ne sont pas en ne peuvent pas être mis en cause. On veut bien reconnaître aussi son talent d’organisateur, ses capacités oratoires, ses maitresses qualités d’entraineur d’hommes. Et la valeur de son style original, sarcastique, vigoureux et tranchant comme un glaive, n’échappe pas. Mais on fait de Blanqui, le plus souvent un démagogue brouillon, un déclamateur creux et superficiel, un socialiste sans théorie précise.
Blanqui n’est pas sans défauts : les héros sont pétris d’argile humaine comme le commun des mortels. C’est pourtant bien mal le connaître que d’en faire un agitateur vulgaire.
C’était un penseur capable de sonder l’immensité des mondes et les replis infinis de la matière comme d’analyser la structure sociale et de percer à jour les événements politiques. Il l’a montré dans ses lettres si substantielles, dans L’Eternité pas les Astres, les pages vigoureuses qui nous restent et qui font regretter la perte des précieux manuscrits brulés par sa mère, sa Critique Sociale de laquelle il ressort que dès 1850, Blanqui formulait presque dans les mêmes termes que Marx, la loi de l’accumulation.
Mais la pensée profondément réaliste de Blanqui faisait corps avec sa vie de combat et d’étude, guidée par le grand souci de conquérir l’Etat bourgeois ou « gendarmerie des riches contres les pauvres » afin de le retourner en « gendarmerie des pauvres contre les riches » et, par une série de mesures transitoires, d’acheminer les masses vers le communisme.
C’était un homme d’Etat étudiant très sérieusement les conditions objectives, calculant le rapport des forces et l’on sait très bien pourquoi il a dû, à plusieurs reprises, retenir ses fideles impatients ou, malgré lui, déclencher des mouvements qui ont avorté.
Blanqui, un homme sans base idéologique sérieuse et profonde ? Allons donc ! […]
Sur la pratique, des coups de main, sur le putchisme, sur ce qu’on appelle vulgairement le blanquisme tant reproché à Blanqui, il convient également de se reporter à l’époque. Cette tactique avait des racines si profondes dans la situation du moment que des petits bourgeois l’appliquèrent. Les gouvernements étaient faibles, la tradition des sans-culottes perdurait, le prolétariat des usines n’avait pas et ne pouvait pas avoir encore de grande organisation politique. Soyons persuadés, du reste, qu’une analyse un tant soit peu poussée de la composition de la première Internationale en France, montrerait la prédominance des petits artisans dans cette organisation. L’attitude de Blanqui en 1848 et en 1870, indique, en tout cas, qu’il sentait parfaitement tout ce que la théorie des minorités agissantes recèle de danger quand on ne la lie pas au grand principe de l’action de masse.
Aujourd’hui, nous pouvons, il est vrai, forts de l’expérience, faire des réserves sur tel ou tel point de l’enseignement de Blanqui. Il reste néanmoins, et c’est énorme, que dans sa direction générale, le blanquisme en tant que pratique révolutionnaire de l’idéologie, s’accorde avec l’essentiel du marxisme et de l’enseignement léniniste. Même théorie de l’hégémonie du prolétariat dans la marche du socialisme. Même affirmation sur la nécessité d’une phalange de combattants éprouvés comme avant-garde du prolétariat. Même conception évolutive du monde à travers les luttes de classes. Même point de vue sur l’action politique révolutionnaire autonome de la classe ouvrière, sur la critique des palliatifs, sur les méfaits de l’opportunisme non imposé par les conditions objectives, sur la duperie du suffrage universel et du parlementarisme bourgeois, sur la conception de l’Etat, sur l’athéisme, sur l’armement du prolétariat et la nécessité de la dictature révolutionnaire. Cette simple énumération marque suffisamment l’apport blanquiste. […]