Prologue d’une Révolution: Fevrier-Juin 1848, ed. Filippo Benfante and Maurizio Gribaud. Paris: La Fabrique, 2007, 125-126.
[…] Le gouvernement se montra indécis et irrésolu : il annonça d’abord que l’impôt du timbre serait suspendu dix jour savant la convocation des assemblées électorale ; puis, forcé de céder du terrain pied à pied, il supprima définitivement l’impôt. Les fameuses lois de septembre furent en même temps abrogées.
Affranchie de ces entraves, la presse prit un développement immense, et l’éducation politique du Peuple fit plus de progrès en quelques jours qu’elle n’en avait fait pendant les cinquante dernières années de la monarchie. Mais rien ne contribua aussi puissamment à initier le Peuple à la vie démocratique que les clubs: « Quand trois d’entre vous seront réunis en mon nom, avait dit Jésus-Christ, je serai au milieu d’eux. » Les clubs sont les églises de la religion nouvelle, la religion du droit. C’était un magnifique spectrale que de voir ces hommes qui, la veille, demandaient au vin ou à la littérature pourrie des théâtres le délassement de leurs travaux, s’assembler chaque soir pour entendre la bonne nouvelle, l’évangile de la justice, et boire la parole de vie qui tombait des lèvres des initiateurs. La plupart des présidents de clubs étaient des prisonniers politiques de la monarchie ; c’étaient les confesseurs de la foi : leur pâleur, leur vieillesse précoce, les ravages ineffaçables de leur captivité rappelaient au Peuple qu’ils avaient offert leur sang en témoignage à la vérité, et donnaient à leurs paroles l’autorité du martyre. Depuis, presque tous sont retournés dans les prisons qu’ils avaient un instant quittées.
Blanqui ouvrit le premier club sous le nom de Société républicaine centrale. Sa parole calme et froide faisait pénétrer dans les masses de vagues soupçons sur les tendances du pouvoir. Instruit depuis longtemps à la défiance, il dénonçait avec une sagacité prophétique la marche rétrograde de la révolution. Il poursuivait avec une ombrageuse obstination ces deux agents de toutes les tyrannies, la magistrature et l’armée. Mais sa personnalité hautaine éloignait de lui les hommes de son parti qui se groupaient de préférence autour de Barbès, fondateur du club de la révolution, nature sympathique et franche, dont le seul défaut était de trop compter sur la loyauté de ses ennemis. […]