Albert Mathiez, ‘Notes de Blanqui sur Robespierre’ [1928], in Mathiez, Girondins et Montagnards. Paris: Firmin-Didot, 1930.
‘Si les notes de Blanqui n’offrent aucun intérêt pour l’étude de Robespierre et de la Révolution française» elles n’en sont pas moins très dignes d’attention à un autre point de vue. Blanqui exerça une influence de premier ordre sur l’avant-garde du parti révolutionnaire français pendant près d’un demi-siècle, de 1830 à 1880. Bien que de santé frêle, il survécut à tous les rivaux qui auraient pu contrebalancer sa popularité, à Barbes, à Proudhon, à Raspail. Auréolé du prestige du martyre, il devint après la Commune une sorte de patriarche dont les jugements étaient des oracles. Il eut des disciples fanatiques qui prolongèrent son influence longtemps après sa mort, jusqu’à ce que l’avènement de Jaurès vînt les reléguer peu à peu dans l’ombre. La haine violente que Blanqui portait à Robespierre a ainsi exercé une déviation décisive sur les sentiments que les socialistes ressentaient à l’égard du fondateur de la démocratie française. Ils l’avaient adoré jusqu’en 1848. Blanqui leur apprit à le détester. Dès lors, ce furent les Hébertistes, dont un disciple de Blanqui, Tridon, fit l’apologie, qui devinrent pour les chefs du socialisme révolutionnaire les modèles à suivre et ils ne les imitèrent que trop dans la Commune!’ (221).
‘[Blanqui] sans doute est révolutionnaire, il est même très versé dans la technique des insurrections, il paie courageusement de sa personne, mais, malgré ses attaques ardentes contre les riches et les sangsues du peuple, il n’est en possession d’aucun programme constructif. En dehors de la prise du pouvoir par la violence, il n’a rien à proposer. Tous les problèmes économiques lui sont étrangers. Et comme s’il avait conscience de la lourde responsabilité qu’il assumerait en cas de victoire, il recommande de ne toucher qu’avec des précautions infinies à l’ordre social et à l’ordre économique.
Ne soyons pas surpris dès lors que Blanqui n’ait pas compris Robespierre qui, lui, luttait tous les jours contre des problèmes pratiques, qu’il devait résoudre sur-le-champ, sous peine de perdre la République et la France. Il n’a même pas eu la curiosité de lire le Moniteur, ni Bûchez et Roux. Il se renseigne dans l’histoire de Lamartine, dont il méprise l’auteur, et ajoute aux préventions et aux erreurs de sa source bourgeoise et romanesque. Il est atteint lui aussi, du virus de son temps, du virus romantique. [….]
Robespierre avait symbolisé pour Babeuf qui se proclame son disciple et son continuateur» pour les Égaux et pour leurs successeurs, tous les espoirs de relèvement du prolétariat. Le nom de Robespierre était le mot d’ordre et de ralliement de tous les partisans du “bonheur commun”. Sa fameuse Déclaration des Droits était une charte et un évangile.
Et voilà qu’un des révolutionnaires les plus écoutés, parce qu’il a payé constamment de sa personne, répète aux siens pendant un demi-siècle que Robespierre n’est qu’une fausse idole, un ami du passé, un bourreau réactionnaire, un serviteur des prêtres, un ambitieux sans scrupule. C’est une rupture absolue de la tradition, un revirement total dont ne pouvaient bénéficier que ceux qui ont intérêt à ce que la Révolution française ne soit pas connue sous son véritable jour, afin qu’elle ne fasse plus de petits!
Si nous éprouvons, aujourd’hui encore, tant de peine à faire connaître la vérité, à détruire pour la dixième fois des légendes stupides, à remonter un courant si puissant, il est triste de se l’avouer, la faute n’en est pas seulement au conservatisme aveugle des historiens bourgeois, l’enseignement et le prestige de Blanqui pèsent de tout leur poids sur le couvercle qui refoule la vérité dans son puits.
Pauvre Blanqui, ses intentions étaient pures, il a cru servir le progrès, en s’improvisant historien et juge, et il n’a servi, en l’occurrence que la contre-Révolution.’ (236-8).