L’Enfermé. Paris: Bibliothèque Charpentier, 1919, 441-442.
[…] Là, nous retrouvons l’homme. C’est lui que j’aurais voulu faire vivre. Car, j’y insiste, je n’ai pas écrit l’apologie du conspirateur, du chef d’émeute. Je n’ai constaté là que la fatalité. Mais on avait fait de Blanqui un monstre, un spectre : j’ai essayé de lui restituer son titre humain.
La mort l’affranchit de la secte, laisse voir ce qu’il y a de beau, de fort, de libre dans son esprit. Le témoignage de ceux qui l’ont connu suffirait à affirmer, à prouver cet esprit, mais il y a son œuvre, ses Plaidoiries, sa Patrie en danger, son Eternité pas les Astres, et tous ses cahiers de Doullens, de Belle-Ile-en-mer, de Corte, de Sainte-Pélagie, du Taureau, de Clairvaux, ses cahiers qui seront publiés, qui achèveront de la faire connaître par tant de pages magnifiques, tant de notes saisissantes. Enfin, il y a sa vie, qui est une œuvre aussi, qui donne sa substance. Il a donné toute cette vie à l’esprit, il a méprisé, ignoré l’argent, et par là encore s’est attiré la méfiance et la haine. Il a été haï pour sa pauvreté, pour son absolu. Tous ceux qui surent acheter la vie facile par des capitulations de conscience furent durs à Blanqui. On devait, fatalement, avoir raison de lui. On l’a maté, non vaincu, on a eu prise sur son corps, non sur son esprit. Lui, comme le rebelle de Baudelaire, a dit : Non ! je ne veux pas ! Il eut en lui, toujours, son cachot et sa tombe, y vécut fort et joyeux.
Pour ces raisons, ce livre, avec les divergences dites, les critiques exprimées, ne peut être à la conclusion qu’un hommage à cette mémoire, à l’utilité de cette existence.
Non, cette vie surhumaine, de douleur consentie, de sacrifice obstiné, cette vie ne peut être perdue. Elle a privé l’homme des joies habituelles, lui a infligé la douleur de ne pas être compris, aimé, lui a donné ce visage offensé… Mais l’exemple est acquis pour jamais. Dans le même individu ont cohabité deux sentiments égaux : la résignation, la révolte. Résigné pour lui, révolté pour tous. La résignation le met à la hauteur des plus stoïques. L’esprit de révolte du vieux Blanqui, salubre comme le sel de la mer, imprégnera l’Histoire. Il n’a pas voulu le bonheur, il a refusé d’être payé de son vivant. Il est même plus grand que les martyrs et les saints des religions, qui n’acceptent de souffrir et de mourir qu’avec la certitude d’une vie future, d’une récompense de paradis. Lui, ne veut être ni consolé, ni récompensé. Il accepte hautainement le sort sans l’espoir d’une rémunération. C’est le Héros nouveau, d’accord avec l’idéal du siècle, d’accord avec l’humanité.