Citoyens, nous demandons l’ajournement des élections de l’Assemblée constituante et de la garde nationale.1 Ces élections seraient dérisoires.
À Paris, un très petit nombre d’ouvriers sont inscrits sur les listes électorales. L’urne ne recevrait que les suffrages de la bourgeoisie.
Dans les villes, la classe des travailleurs, façonnée au joug par de longues années de compression et de misère, ne prendrait aucune part au scrutin, ou bien elle y serait conduite par ses maîtres, comme un bétail aveugle.
Dans les campagnes, toutes les influences sont aux mains du clergé et des aristocraties. Une tyrannie savante a étouffé par son système d’isolement individuel toute spontanéité au cœur des masses. Les malheureux paysans, réduits à la condition de serfs, deviendraient le marchepied des ennemis qui les oppriment et les exploitent.
Notre âme s’indigne à la pensée que les oppresseurs puissent ainsi recueillir le bénéfice de leur crime ; c’est un sacrilège de faire mentir à leur propre salut dix millions d’hommes, d’arracher à leur inexpérience la sanction de leur esclavage. Ce serait un défi par trop insolent aux barricades de Février.
Le peuple ne sait pas : il faut qu’il sache. Ce n’est pas l’œuvre d’un jour, ni d’un mois. Lorsque la contre-révolution a seule la parole depuis cinquante ans, est-ce donc trop de l’accorder une année peut-être à la liberté, qui ne réclame que la moitié de la tribune et ne mettra pas, elle, la main sur la bouche de son adversaire ?
Il faut que la lumière se fasse jusque dans les moindres hameaux, il faut que les travailleurs redressent leurs fronts courbés par la servitude et se relèvent de cet état de prostration et de stupeur où les castes dominantes les tiennent, le pied sur la tête.
Et ne dites pas que nos craintes sont chimériques ! Les élections, si elles s’accomplissent, seront réactionnaires. C’est le cri universel. Le parti royaliste, le seul organisé grâce à sa longue domination, va les maîtriser par l’intrigue, la corruption, les influences sociales ; il sortira triomphant de l’urne.
Ce triomphe, ce serait la guerre civile ! Car Paris, le cœur et le cerveau de la France, Paris ne reculera pas devant ce retour offensif du passé. Réfléchissez aux sinistres conséquences d’un conflit entre la population parisienne et une Assemblée qui croirait représenter la nation, qui ne la représenterait pas ; car le vote de demain sera une surprise et un mensonge.
Que votre prudence épargne à la France de tels périls. Laissez le peuple naître à la République. Il est encore emprisonné dans les langes étouffants de la monarchie.
Ajournement des élections, c’est le cri des Parisiens !
- Source: MF, 136-138. ↩