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Jules Vallès

Jacques Vingtas: L’Insurgé: 1871. Paris: Bibliothèque Charpentier, 1923, 159, 197-200, 214.

[…] Un petit vieux trottine près de moi, seul, tout seul, mais suivi, je le vois, par le regard d’une bande au milieu de laquelle je reconnais des amis de Blanqui.

C’est lui, l’homme qui longe cette muraille, après avoir rodé tout le jour sur les flancs du volcan, regardant si, au-dessus de la foule, ne jaillissait pas une flamme qui serait le premier flamboiement du drapeau rouge.

Cet isolé, ce petit vieux, c’est Blanqui ! […]

6 septembre. – Blanqui

Réunion à dix heures du matin, rue des Halles.

Un petit vieux, haut comme une botte, perdu dans une lévite au collet trop montant, aux manches trop longues, au jupon trop large, est en train de ranger quelques papiers sur la table.

Tête mobile, masque gris ; grand nez en bec, cassé bêtement au milieu ; bouche démeublée où trottine, entre les gencives, un bout de langue rose et frétillante comme celle d’un enfant ; tient de vitelotte.

Mais, au-dessus de tout cela, un grand front et des prunelles qui luisent comme éclats de houille. C’est Blanqui.

Je me nomme. Il me tend la main.

— Il y a longtemps que je voulais vous connaître. On m’a beaucoup parlé de vous. Je serais désireux de vous tenir dans un coin, et de causer… en camarades. Tout à l’heure, quand ce sera fini ici, venez chez moi. C’est entendu, n’est-ce pas ?

Il me glisse son adresse, me congédie d’un signe amical, et demande si les hommes e la Villette sont là.

Sitôt la séance levée, j’ai couru chez lui.

Il loge chez un ancien transporté du Coup d’Etat, près duquel il s’est caché après l’échauffourée de la Villette.

Au moment où j’arrive, il tient un crayon à la main et s’occupe à rédiger une proclamation qu’il me lit.

C’est une trêve signée, au nom de la Patrie, entre lui et le Gouvernement de la Défense.

Je relève le nez.

— Vous trouvez que j’ai tort ?

— Dans un mois, vous serez à couteaux tirés !

— Alors, c’est qu’ils l’auront voulu !

— Au moins, soulignez d’une phrase à accent votre déclaration tranquille.

— Peut-être bien… Que mettre, voyons ?

J’ai pris une plume, et ajouté : « Il faut dès aujourd’hui sonner le tocsin ! »

— Oui, c’est une fin.

Mais il s’est ravisé, et se grattant la tête :

— Ce n’est pas assez simple.

Voilà donc le fantôme de l’insurrection, l’orateur au gant noir, celui qui ameuta cent mille hommes au Champ-de-Mars, et que le document Taschereau voulut faire passer pour un traître.

On disait que ce gant noir cachait une lèpre ; que ses yeux étaient brouillés de bile et de sang… il a, au contraire, la main nette et le regard clair. Il ressemble à un éduqueur de mômes, ce fouetteur d’océans humains.

Et c’est là sa force.

Les tribuns à allure sauvage, à mine de lion, à cou de taureau s’adressent à la bestialité héroïque ou barbare des multitudes.

Blanqui, lui, mathématicien froid de la révolte et des représailles, semble tenir entre ses maigres doigts le devis des douleurs et des droits du peuple.

Ses paroles ne s’envolent pas comme de grands oiseaux, avec de larges bruits d’ailes, au-dessus des places publiques qui, souvent, ne songent pas à penser, mais veulent être endormies par la musique que font, sans profit pour les idées, tous les vastes tumultes.

Ses phrases sont comme des épées fichées dans la terre, qui frémissent et vibrent sur leur tige d’acier. C’est lui qui a dit : « Qui a du fer a du pain ».

Il laisse, d’une voix sereine, tomber des mots qui tranchent, et qui font sillon de lumière dans le cerveau des faubouriens, et sillon rouge dans la chair bourgeoise.

Et c’est parce qu’il est petit et paraît faible, c’est parce qu’il semble n’avoir qu’un souffle de vie, c’est pour cela que ce chétif embrase de son haleine courte les foules, et qu’elles le portent sur le pavois de leurs épaules.

La puissance révolutionnaire est dans les mains des frêles et des simples … le peuple les aime comme des femmes.

Il y a de la femme chez ce Blanqui qui, accusé de félonie par les classiques de la Révolution, amena sur la scène, pour sa défense, les souvenirs de son foyer lâché pour la bataille et la prison, et le fantôme de l’épouse adorée, morte de douleur – et pourtant assise toujours en face de lui, dans la solitude de son cachot contre lequel pleurait le vent de la mer. […]

[…] J’ai vu, un matin, tout le Gouvernement de la Défense nationale patauger dans la niaiserie et le mensonge, sous l’œil clair de Blanqui.

D’une voix grêle, avec des gestes tranquilles, il leur montrait le péril, il leur indiquait le remède, leur faisait un cours de stratégie politique et militaire.

Et Garnier-Pagès, dans son faux-col, Ferry, entre ses côtelettes, Pelletan, au fond de sa barbe, avaient l’air d’écoliers pris en flagrant délit d’ignardise. […]