Critical assessments

Gustave Lefrançais

Souvenirs d’un révolutionnaire. Bruxelles: Imprimerie Ch. Hautstont, 1900, 25-26, 28, 38-40, 41-42, 386.

[…] Partout s’ouvrent des clubs, sans souci des ineptes plaisanteries des blagueurs de la presse réactionnaire sur la prononciation du mot à l’anglaise.

Ceux qui fréquentent ces réunions y sont attirés, les uns par simple curiosité et à cause de la nouveauté, les autres, soit pour y étudier les moyens d’organiser l’action révolutionnaire, soit pour se faire une idée plus nette de la République et de sa signification.

De tous ces clubs, celui présidé par Blanqui, l’inspirateur de la société secrète « les Saisons » sous Louis-Philippe et bien connu déjà des révolutionnaires, a un caractère tout particulier. Il tient ses séances dans une des salles du Conservatoire de musique. On n’y rit guère. Mais on y entent d’intéressantes discussions. Le plus souvent même, ce sont des exposés critiques de la situation faits par le président. Chacun de ses traits porte beaucoup et rend pensif plus d’un auditeur. […]

[…] Le gouvernement issu des barricades n’a que de pacifiques intentions. Il veut la paix au dehors comme l’ordre au-dedans. Il entend respecter les positions acquises. L’orage qui vient d’éclater n’aura point de répercussion et ne menace aucune tête couronnée. Enfin la République nouvelle, très bonne personne, s’efforcera de se faire pardonner son entrée un peu brusque dans le fameux « concert européen » si cher à messieurs les diplomates.

Il faut entendre analyser ce morceau pindaresque par Blanqui. Comme il en éclaire les hypocrites réticences et en expose les dangers ! […]

5 mai – 26 juin

Louis Blanc est le seul socialiste avéré que Paris ait envoyé à la Constituante.

Encore son élection et celle d’Albert – l’Ouvrier – ne sont-elles dues qu’à leur titre de membres du Gouvernement provisoire … et peut-être aussi à leur complicité passive dans les menées réactionnaires de leurs collègues.

[…] Quant aux autres candidats socialistes qui se sont nettement séparés de l’Hôtel de ville, Pierre Leroux, Cabet, Raspail, Thoré, entre autres, ils sont restés sur le carreau. C’est, en somme, la liste de l’Archevêché qui a triomphé.

Victor Considérant – le chef de l’école fouriériste – a été nommé dans le Loiret.

La candidature de Blanqui a été combattue avec une âpreté qui dénote assez la peur qu’il inspire. Les républicains de la Réforme et du National, c’est-à-dire le clan des Ledru-Rollon, Caussidière et consorts d’un coté, et le clan des Marrast, des Marie, des Arago de l’autre, et enfin jusqu’à Barbès et ses amis se sont donné le mot contre lui.

C’est le sieur Taschereau, le rédacteur de la Revue rétrospective qui s’est chargé de l’affaire.

Exhumant des cartons de la police de prétendus rapports relatifs à la participation de Blanqui et de ses compagnons des Saisons à l’insurrection du 12 mai 1839 – à la suite de laquelle Barbès et Blanqui furent condamnés à mort – la Revue représente Blanqui comme ayant trahi ses camarades pour sauver sa tête.

La publication de ces pièces, très habilement groupées, fut un coup de foudre pour ceux qui voyaient en Blanqui un des rares républicains ayant vraiment conscience du but à atteindre.

Mais le mot de Beaumarchais est d’une cruelle vérité, surtout en politique, lorsqu’il s’agit d’influencer les masses, hors d’état de vérifier les dessous des cartes :

« La calomnie ? J’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés. »

A Paris même, bien peu de personnes s’étaient mêlées sous Louis-Philippe aux derniers mouvements insurrectionnels. Pour les quatre cent mille votants de la Seine, Blanqui n’est qu’une expression révolutionnaire – rien de plus. – Il n’est personnellement connu d’aucun d’eux.

Ceux qui veulent se débarrasser de ce clairvoyant le savent bien et ont beau jeu.

En vain, dans une protestation des plus pathétiques, Blanqui rappelle les luttes auxquelles il a pris part dès sa jeunesse, au nom de la République. En vain il démontre qu’il a tout sacrifié, liberté, carrière, avenir, santé, joies de la famille ; en vain il compare sa misère actuelle, ses cheveux blanchis à quarante-trois ans à peine, à la situation florissante de ses adversaires, ayant toujours grassement vécu et tiré parti de leurs prétendues convictions. Rien n’y fait.

La niaiserie des uns, l’indifférence du plus grand nombre sont venues en aide aux intrigues des roublards de la politique.

Blanqui a obtenu à peine vingt mille voix !

Le jour de la vraie République – celle du peuple – n’est pas encore arrivé. […]

[…] A deux heures [du 15 mai 1848], cent mille hommes, sans armes, arrivaient sur l’Assemblée dont les grilles sont bientôt forcées. La salle des séances est envahie. Le président Buchez prend peur et s’affale sous le bureau. Blanqui, Barbès et Raspail prennent la parole et adjurent les députés encore présents de donner satisfaction au peuple en s’occupant de sa misère. Tout à coup, apparaît Huber, un ancien détenu politique également. Il s’empare de la tribune sur laquelle il plante un grand écriteau portant cette inscription : « Au nom du Peuple, l’Assemblée est dissoute ! »

Les députés se séparent ou plutôt s’enfuient sans protestations.

On fait croire alors à Barbès que Blanqui se trouve déjà à l’Hôtel de ville, à la tête d’un nouveau gouvernement exclusivement composé de ses amis. Barbès y court pour le renverser. Il n’a pas cette peine. Blanqui désespérant de voir aboutir la situation, s’est simplement retiré, imité par Raspail. […]

[…] Blanqui et quelques-uns des siens ont tenté de prendre l’initiative du mouvement dont les députés se refusent à donner le signal. Apres avoir désarmé un poste de pompiers à la Villette, ils ont invité la population du quartier à se joindre à eux. Soit indifférence de la part de ceux à qui ils se sont adressés, soit que, n’étant pas avertis, ces derniers les aient pris pour des agents provocateurs, cet appel est resté sans écho, et les amis de Blanqui ont du se disperser sans combat sérieux. C’est à peine si les rues avoisinantes s’en sont aperçues. […]

Etude sur le Mouvement Communaliste à Paris en 1871. Neuchâtel : Imprimerie G. Guillaume Fils, 1871, 75, 100-102, 276-277, 335.

[…] Les mesures du Comité central républicain furent surtout appuyées par le citoyen Blanqui, rédacteur en chef du journal la Patrie en Danger, qu’il venait de fonder et dans lequel ce dévoué citoyen se révéla aux Parisiens comme un journaliste de premier ordre et d’un véritable bon sens pratique. […]

L’abstention systématique de l’Internationale et de la Fédération ouvrière, dans le mouvement politique qui venait d’échouer, contribua pour une large part à sont insuccès, en permettant à des groupes particuliers, ou même à des individualités à vues personnelles, d’en altérer le caractère précis.

D’un autre coté, un assez grand nombre de républicains de 1848, dont l’honnêteté ne faisait doute pour personne, indignés de l’incurie et de la lâcheté de la Défense, parurent disposés tout d’abord à conséquences à la journée qui s’annonçait, mais les uns se retirèrent bientôt, tandis que d’autres – comme le citoyen Langlois, par exemple – poussèrent l’inconséquence jusqu’à ramener au secours de l’Hôtel de Ville, le soir, les forces qu’ils avaient mises le matin au service du mouvement.

Pourquoi ce revirement ?

C’est qu’ils avaient vu surgir dans la mêlée l’ombre de Blanqui !

Blanqui, cette tête de turc, sur laquelle frappent si volontiers tous les ambitieux du parti, qui voient en lui un concurrent redoutable, les traitres, qui prétendent expliquer et justifier leurs trahisons par la haine qu’ils lui ont vouée et les niais, leur abandon par la peur qu’il leur inspire, sans que ceux-ci aient jamais su pourquoi.

En vain Blanqui, dont l’intelligence incontestée et la souplesse d’esprit, appliquées au service de la bourgeoisie, à laquelle il appartient d’origine et d’éducation, eussent été pour lui les instruments certains d’une haute position sociale, en vain Blanqui s’est-il condamné volontairement à la misère, aux souffrances de la prison et de l’exil pour le seul intérêt de ses convictions ;

En vain s’est-il révélé chaque fois qu’il a pris la plume, et notamment depuis le 4 septembre, non seulement comme un grand écrivain, mais encore comme un penseur élevé et d’un grand sens pratique ;

S’en référant sans cesse aux ignominies exhumées dans la Revue rétrospective, publiée en 1848, par un laquais de Bonaparte, le sieur Taschereau, les ambitieux, les traitres et les niais du parti républicain s’unissent par un touchant accord – dès que le nom de Blanqui apparaît dans un mouvement – pour aider les partis réactionnaires à le faire avorter.

Et ces manœuvres n’auront pas de fin. Et, que Blanqui vienne à mourir dans la prison où M. Thiers l’a plongé de nouveau, on peut être assuré qu’il y aura des gens qui hocheront encore la tête à ce nom de martyr, insinuant par là qu’il se pourrait bien faire que cet homme n’eut jamais été qu’un agent de police !

Eternité de la bêtise humaine ! Que les misérables qui bénéficient de tes sottises doivent donc rire !

Nous le déclarons ici, nous sommes de ceux qui, trop socialistes pour être partisans d’une dictature quelle qu’elle soit, ont constaté chez Blanqui et ses amis trop de tendances autoritaire pour admettre qu’on puisse leur laisser la direction d’un mouvement révolutionnaire, mais nous ne pouvons nous empêcher pourtant de protester avec énergie contre la mauvaise foi avec laquelle on a combattu l’influence de cet homme, auquel tout républicain sincère doit le respect.

Donc l’absence de toute direction de la part de l’Internationale, et aussi les répulsions absurdes ou intéressées dont le nom de Blanqui est l’objet, telles furent les principales causes de l’avortement du 31 octobre. […]

Aux conséquences funestes que devaient avoir pour l’avenir de la Commune les prétentions gouvernementales de ceux qui, par opposition aux socialistes, s’appelaient naïvement les révolutionnaires, venaient s’ajouter, ainsi que nous l’avons déjà mentionné, les impressions désastreuses que produisaient la plupart de leurs

actes. La majorité était malheureusement privée du seul homme qui eût pu lui imprimer une direction intelligente et qui, grâce à son influence sur la plus grande partie de ses membres, eût pu rectifier leurs décisions dans ce qu’elles avaient du moins d’anarchique et de puérile violence.

Nous voulons parler de Blanqui, dont la présence à la Commune eut été d’un grand secours à celle, en qu’il eût astreint ceux qui l’acceptaient comme inspirateur à plus de méthode et d’habileté politique dans leurs agissements.

Mais Blanqui ne put être libéré, en dépit de tous les efforts tentés par la Commune pour amener M. Thiers à l’échanger contre Monsieur Darboy qui, dans l’origine, n’avait été arrêté qu’afin d’obtenir ce résultat.

Thiers sut calculer juste: les Blanquistes sans Blanqui, pouvaient provoquer la chute de la Commune !

La liberté, la vie même de l’archevêque importait moins au triomphe de Versailles que n’eut été nuisible au gouvernement de M. Thiers, la présence de Blanqui, siégeant au milieu de ses amis à la Commune et les disciplinant. – Les événements donnèrent raison à M. Thiers. Blanqui demeura donc prisonnier. […]

[…] Nos avons parlé déjà des efforts tentés par la Commune, pour obtenir l’échange de Blanqui contre M. Darboy, précisément arrêté en vue d’une semblable transaction. – Qu’on fut entré dans cette voie et la plupart des otages eussent été successivement échangés contre un certain nombre de nos amis tombés tout d’abord entre les mains de Versailles. Nous avons dit aussi comment et pourquoi M. Thiers, préférant la mort possible des otages – la désirant peut-être même – plutôt que de voir Blanqui, devenu libre, donner à ses amis de la majorité une direction plus sérieuse et plus pratique, les efforts de la Commune n’avaient pu aboutir. […]